Vive ERT,au nom de la liberté démocratique !
La Grèce, berceau culturel de la civilisation occidentale, pays qui inventa l’admirable notion de “démocratie”, vit aujourd’hui – avec l’illégitime et brutale fermeture de sa radio-télévision publique (ERT) – une des périodes les plus sombres de son histoire moderne et contemporaine.
Lettre ouverte
Monsieur le Premier Ministre du Gouvernement Grec, Antonis Samaras,
Les intellectuels et artistes d’Europe vous adressent cet appel solennel, au nom de la liberté démocratique, à la réouverture immédiate et inconditionnelle de la radio-télévision publique grecque, ERT.
La Grèce, berceau culturel de la civilisation occidentale, pays qui inventa l’admirable notion de “démocratie” et où naquit le mot même d’Europe, vit aujourd’hui – avec l’illégitime et brutale fermeture de sa radio-télévision publique (ERT) – une des périodes les plus sombres de son histoire moderne et contemporaine.
Le peuple grec, révolté par cette décision pour le moins arbitraire, aussi injuste qu’injustifiable, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, lui qui se trouve désormais coupé, sans plus de connexion télévisuelle ni radiophonique, de sa diaspora : cet acte d’une rare violence politique, en tout point contraire aux principes mêmes de la démocratie, rappelle, de sinistre mémoire, la dictature, entre les années 1967 et 1974, des colonels.
Et encore : même celle-ci, cette junte militaire qui ne se souciait pourtant que fort peu du bien-être de ces concitoyens qu’elle commandait alors d’une impitoyable main de fer, n’osa pousser son autoritarisme jusque-là.
De cette très regrettable décision, aussi funeste dans son fond qu’intolérable dans sa forme, vous en êtes, Monsieur le Premier Ministre, le véritable responsable. Cet acte, qui ne vous honore guère, est la négation même – le paradoxe s’avère énorme, vous en conviendrez aisément – du beau nom que désigne votre parti : “Nouvelle Démocratie”, lequel, votre peuple n’ayant jamais été consulté sur cette question (pas plus d’ailleurs que vos alliés politiques), n’a jamais aussi mal porté son titre. Il relève même, en l’occurrence, d’une abusive et très malhonnête arnaque sémantique.
Pis : il équivaut à une trahison politique et linguistique tout à la fois, en totale opposition, y compris sur le plan moral, avec le sens profond du concept de “démocratie”, ce principe que les humanistes que nous sommes souhaiteraient universel.
Ainsi est-ce notre solidarité la plus sincère et totale que nous exprimons aujourd’hui au peuple grec, de plus en plus douloureusement malmené, à force d’absurdes et contre-productives politiques d’austérité ces temps-ci.
Vos très expéditives et sommaires méthodes, inacceptables à tous points de vue, ne font, en outre, qu’aggraver le problème plutôt que de le résoudre, au niveau social, dans la mesure où, en plus de ne point vous soucier de la volonté populaire, vous envoyez ainsi illégalement, sans préavis ni ménagement, près de trois mille personnes aussi désarmées qu’innocentes, lesquelles n’ont certes pas à payer pour les erreurs de leur hiérarchie professionnelle (que les gouvernements grecs du passé ont eux-mêmes contribué, suprême hypocrisie, à mettre à la tête de cette institution), au chômage.
Même votre Conseil d’Etat vous a désavoué, par décision de justice, en ordonnant la réouverture immédiate de cette radio-télévision que vous avez ainsi cru pouvoir impunément liquider.
Il est donc urgent, toutes affaires cessantes, que vous rouvriez définitivement, Monsieur le Premier Ministre, la radio-télévision publique grecque : celle-ci ne vous appartient pas, ni à vous ni à votre parti, pas plus, d’ailleurs, qu’au gouvernement que vous présidez, à l’évidence, si mal.
Elle est, comme son nom l’indique, un bien public, souverain, commun et inaliénable à la fois. Ne spoliez donc pas davantage encore, par cette inique et incompréhensible suppression d’une consistante partie de l’espace public, le peuple grec, que les divers représentants de votre caste nationale n’ont que trop volé déjà ! Et, surtout, ne bâillonnez pas ainsi l’intangible liberté d’expression, sans laquelle il n’est point de démocratie qui vaille ni de civilisation qui tienne !
Soyez donc digne, Monsieur le Premier Ministre, du glorieux passé de votre pays, la Grèce, et de ces grands hommes – de Homère à Aristote, en passant par Hérodote, Hésiode, Pythagore, Epicure, Socrate, Platon, Hippocrate, Sophocle ou Eschyle – qui ont fait son immortelle histoire, tant sur le plan philosophique que scientifique ou artistique : cette Histoire sans laquelle l’Europe elle-même, et donc l’Union européenne en tant que telle, n’existerait pas aujourd’hui. Vive ERT !
Les signataires de cette lettre ouverte: Soisic Belin, journaliste, attachée de presse aux Editions Albin Michel (Paris). Hélène Bravin, essayiste, journaliste (Paris). Marc Bressant, écrivain, Grand Prix du Roman de l’Académie française. Jacques De Decker, écrivain, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Nadine Dewit, artiste-peintre, Académie royale des Beaux-Arts de Liège (Belgique). Marek Halter, écrivain (Paris). Jean Jauniaux, écrivain, chroniqueur littéraire (Bruxelles). Jean-Marie Klinkenberg, linguiste, membre de l’Académie royale de Belgique. Giorgio Marconi, fondateur du “Studio Marconi”, galerie d’art à Milan (Italie). Daniel Mesguich, comédien, directeur du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique (Paris). Gilles Perrault, écrivain, journaliste (Paris). Michelle Perrot, historienne, professeur émérite des universités (Paris). Patrick Roegiers, écrivain (Paris). Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, écrivain, éditorialiste (Paris-Bruxelles-Luxembourg). Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit international des Femmes, association créée par Simone de Beauvoir (Paris). Jeanie Toschi Marazzani Visconti, essayiste, journaliste, éditorialiste (Milan, Italie). Elisabeth Weissman, essayiste, journaliste (Paris).